Souvent, on nous pose la question dans les conférences publiques : « À quoi sert la Franc-Maçonnerie ? ». J’ai une réponse : la Franc-Maçonnerie cela ne sert à rien. À quoi sert l’opéra ? À quoi sert la peinture ? À quoi sert la littérature ? À quoi sert Mozart ? C’est pourtant, nous le savons bien, essentiel à nos vies.
Eh bien la Franc-Maçonnerie, dans nos Loges, c’est essentiel pour vos vies, pour essayer de nous rendre meilleurs, mais aussi pour donner à chacun d’entre nous les outils nécessaires pour porter à l’extérieur nos valeurs, nos principes, notre histoire, notre mémoire.
Le premier rôle du Grand Orient de France, c’est par conséquent de dire à l’ensemble des Frères, et en particulier les Maîtres Maçons, que nous avons un devoir qui est bien marqué d’ailleurs dans nos rituels, chacun d’entre nous, individuellement, sortant de nos Loges, sortant de nos Temples, dans l’exercice de nos responsabilités politiques, associatives, syndicales, familiales, de ne jamais oublier notre serment maçonnique, de ne jamais oublier notre appartenance maçonnique et porter là où vous êtes, partout où vous êtes, la Franc-Maçonnerie universelle, la liberté, l’égalité, la fraternité, le projet laïc, le projet républicain, le projet du Grand Orient de France, l’humanisme.
C’est cela, d’abord le rôle des Francs-Maçons et le rôle du Grand Orient de France. Je vous appelle, mes Frères, et j’appelle les Loges, au-delà de votre libre parcours au sein de la Loge, vous aussi, sur le plan local, à vous investir, à organiser des colloques, à organiser des réunions publiques pour porter toujours ces fameuses valeurs dont on parle tant, mot un peu galvaudé mais dont nous savons, nous, héritiers des Lumières, fils des Lumières, qu’il ne s’agit pas d’un vain mot ou d’un simple slogan, mais qu’il s’agit tout simplement du sens même que nous donnons à nos combats pour une humanité meilleure.
Joubert qui était un ami – ce n’est pas ma référence – de Chateaubriand a écrit : « Quand je regarde le monde, je vois des heures de liberté et des siècles de servitude. » Il l’écrivait au début du XIXe siècle. Nous sommes au début du XXIe siècle et cette phrase est encore d’actualité et cette phrase, malheureusement, encore nous interpelle.
Quel est l’état du monde, quel est l’état de la société française ? Une philosophe a pu parler de l’ensauvagement du monde. Encore ce matin, un attentat dans un pays qui nous est si proche, l’Algérie, a fait quinze morts. Le Darfour, ce terrorisme, cet obscurantisme qui nous vient de l’Orient. Notre premier rôle, passant du nord au midi, passant de l’Orient à l’Occident, c’est d’assurer cette passerelle, ce pont, ce voyage entre l’Orient et l’Occident, entre l’Occident et l’Orient, non pas pour apporter nos lumières, mais pour ensemble partager le seul projet qui nous est commun, qui est purement et simplement le projet de survie de l’humanité, le projet de survie de l’humain dans chaque homme que nous devons faire ressortir et que nous devons faire éclater au grand jour pour que l’humanité, telle que nous la concevons, triomphe. Ce projet-là est maçonnique, mais il est totalement universel.
Quel est l’état de la société française ? […] Le développement durable, les défis de la nature, des changements climatiques ne sont pas simplement en effet des questions techniques, mais touchent à l’évolution même de l’humanité. Il y aussi toute cette misère qui fait quelquefois penser à cette cohorte de L’Opéra de quatre sous, tant d’éclopés, tant de misérables au ban de la société. Oui, l’égalité.
Le projet laïc et républicain qui est défendu par le Grand Orient de France ne peut aujourd’hui s’abstenir de poser la vraie question, me semble-t-il, qu’est la question économique et sociale. Comment peut-on faire comprendre que la laïcité, que cette universalité que nous appelons de nos vœux, ce qui permet de nous réunir au-delà de nos appartenances et de nos identités dans ce projet commun qui est celui de l’exercice de la citoyenneté, comment le faire comprendre à celui qui se bat tous les jours pour avoir une fin de mois un peu moins difficile ? À celui qui se bat tous les jours pour trouver un emploi ? À celui qui se bat tous les jours pour trouver un logement ? À celui qui se bat tous les jours contre le racisme, contre la xénophobie, à celui qui se bat tous les jours pour sa propre survie ?
Nous devons en effet, Francs-Maçons du Grand Orient de France, souvent privilégiés, pas toujours, […] poser cette question des inégalités sociales, des inégalités économiques, de cette mondialisation qui tue, de cette mondialisation qui sépare, de cette mondialisation qui avilit. Poser la question économique et sociale, c’est rendre à notre projet laïc, à notre projet républicain toute sa force et toute sa valeur.
Nous sommes dans un pays – je le dis souvent, mais je le répète ici devant vous – où l’on peut avoir un emploi, un salaire et être un sans domicile fixe. Il faut que cela cesse ! Ce sont des discours, mais si nous ne le disons pas, qui le dit aujourd’hui dans notre société ?
Il nous faut à cet instant nous poser la question de l’identité du Grand Orient de France. Le Grand Orient de France, malgré ce que je viens de dire, à cause de ce que je viens de dire, n’est pas un parti politique, n’est pas une organisation syndicale, n’est pas une organisation de défense de l’écologie. C’est justement ce qui peut rendre à nos actions, à nos actions individuelles, à notre action collective toute sa destinée et toute sa force, parce que nous savons réunir ce qui est épars, gauche, droite républicaine, croyants, non croyants, pauvres, riches de toutes origines sociales, de toutes origines géographiques. Nous pouvons poser ces questions et faire des propositions qui seront alors mieux reçues, parce qu’elles viendront justement d’hommes, de Francs-Maçons du Grand Orient de France, qui, d’abord et avant tout, se réunissent de manière distanciée, réunissent leurs différences, réunissent leurs débats contradictoires pour s’engager dans un chemin commun.
Dans Humanisme 2007/3 (N° 278), pages 5 à 8
Commentaires récents